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    Interview Djamal pour Acontresens

    Pour commencer, est-ce que tu peux revenir sur tes débuts dans le rap, avec Kabal ?

    Djamal : On a commencé avec D' (l'autre rappeur de Kabal, ndlr) sur des instrus d'Ice T, je crois que la première c'était "That's how I'm living". On a écrit deux morceaux. On était des fans fondus d'Assassin, au premier rang dans la fosse, on tripait comme des dingues. Notre culture c'était bien sûr Assassin et NTM, en plus du fait qu'on soit de Bobigny, donc géographiquement voisins de NTM, puisque Saint-Denis est à une ville près.

    Ca c'était les tous premiers temps. Avec ces deux morceaux là on est allé voir celui qui est resté avec nous pendant longtemps, qui s'appelle Professor K. On a donc été le voir dans son studio, on a mis le vynil, et on a fait les 2 morceaux, comme ça, juste la voix, sans micro. Il ne nous a même pas regardé, il nous a à peine écouté, on s'est dit "putain on est tombé dans un guet-apens, le mec il en a rien à foutre", et il a dit "bah revenez la semaine prochaine, y'aura mon frère". Son frère c'est Timour Cardenas, celui qui plus tard mixa l'album de Kabal "Etats d'âmes". On s'est pointé, pareil ils nous ont pas regardé, pas parlé pendant qu'on rappait. On s'est dit "putain c'est quoi ces deux rastas extra-terrestres ?".

    Et ces deux rastas extraterrestres c'est des gens qui ont un coeur énorme, et qui nous ont permis de travailler et de faire en fait les 4, 5, 6 premiers morceaux de Kabal parmi lesquels il y avait "Fou à nier" qui est d'abord sorti sur une compilation municipale, "Pleins phares sur le 93000" avec plein de groupes de Bobigny : 357 Magnum Possee, Boss Raw, Boboch Impact, enfin plusieurs groupes comme ça : le SMJ fait son trip, ils t'invitent, ils te disent "on va sortir 1000 exemplaires en CD" ; donc nous on a mis "Fou à nier" sur ce truc là, avec une intro spéciale, encore plus tarée que celle du maxi.

    Et puis après, une fois que le morceau avait un petit peu circulé, on a vraiment commencé, en autoproduction ; on a fait nos deux premiers morceaux autoproduits, alors qu'on avait un répertoire de même pas 10 morceaux probablement ; on a fait "Fou à nier", et "De la haine", réflexion autour de la haine, c'était le premier maxi vinyl, pas facile à trouver aujourd'hui parce qu'on l'a pressé à 1250 exemplaires et que de toute façon on n'avait pas la prétention d'en vendre plus, et au moment où on s'est dit que peut-être on devrait en represser quelques uns, on ne l'a pas fait parce qu'on s'est dit qu'on allait le garder comme collector... et puis un truc introuvable à 1250 exemplaires après tout c'est super. Donc ça c'était vraiment le tout début.


    Et c'est là que vous avez rencontré Assassin...

    Djamal : Oui, juste après : en fait nous on était tellement fondus d'Assassin que ça se ressentait dans notre musique, ça c'est sûr ; Prof K, son petit nom c'est Arlèn, nous a dit qu'il connaissait Doctor L (producteur d'Assassin, à l'époque, ndlr), et qu'il pourrait lui faire écouter nos morceaux ; nous on a dit "oh putain c'est d'la bombe, mais est-ce que c'est assez bien pour lui faire écouter ?". Donc Prof K s'est barré, on n'était pas avec lui, il lui a fait écouté, et il est revenu en disant "ouais ouais c'est bien, un de ces quatre il passera vous voir".

    On a continué à bosser environ 1 mois ou 2 et un jour c'est Squat (rappeur d'Assassin, ndlr) qui s'est pointé au studio où on était, nous on était tremblant du genre (voix tremblante) "blablabla bonjour Rockin'Squat", on lui a fait écouter des trucs et il a dit : "Putain vous êtes tarés, c'est vachement bien ce que vous faîtes ; sur l'autre morceau vous êtes moins tarés et vous êtes plus militants et c'est mortel" ; on avait évidemment plein de choses en commun, et là on a commencé à entrevoir avec Squat le fait de pouvoir collaborer un jour dans je ne sais pas quel cadre mais en tout cas on s'est dit qu'on pourrait peut-être faire quelque chose.

    Donc on était très flattés, et quelques mois après ils nous ont proposé de produire un maxi ; c'était en 1995, ils étaient sur le projet de sortir leur album "L'Homicide volontaire", et ils avaient aussi comme projet de sortir Ekoué et La Rumeur, mais ils ne l'ont pas fait et La Rumeur a été obligé de le sortir eux-mêmes ; Ekoué était en featuring sur l'album d'Assassin, et nous notre maxi "La conscience s'élève" est sorti en 1996 ; entre temps bien-sûr on avait rencontré Toty (DJ de Kabal, ndlr), qui commençait à faire des prods et qui scratchait comme un taré depuis 10 ans ; lui, son passé ? il était perdu dans le Lot, il était DJ de boîte de nuit déjà à 15 piges, il a passé son adolescence avec des platines. Puis il est "monté" a Paris pour s'installer.

    Donc on se voyait chez Toty quand il était à Paris, dans une cave, on faisait énormément de freestyles, ce qui a fait qu'on a commencé à écrire beaucoup de textes et à avoir des choses à proposer évidemment à Assassin. Donc on a sorti "La Conscience s'élève" chez Assassin Productions ; ça nous a apporté beaucoup dans le sens où avoir le tampon Assassin c'était vachement intéressant pour nous, et dans le sens où on a eu la chance de collaborer avec Doctor L et Dawan pour faire les musiques, donc on a appris encore plus. Et Squat avait à l'époque dans l'idée de faire les concerts avec basse/batterie/guitare/DJ en 96 pour la tournée "L'homicide tour", mais par faute de temps et de budget il n'a pas mis ça en place, et il nous a proposé de faire la tournée avec lui ; on s'est dit "putain c'est une vachement bonne proposition faut absolument qu'on le fasse".

    Evidemment on a porté les couleurs d'Assassin pendant tellement longtemps que c'est resté sur notre peau gravé pendant un certain temps, surtout pour les gens qui nous ont connu à travers Assassin... pendant vachement longtemps on était "les p'tits frères d'Assassin", "les ptits Assassin", "les cousins", tout ce que tu veux, et puis avec "L'homicide tour" on a fait le tour de France, on a trippé comme des dingues, et en rentrant de ça, on s'est dit avec D', Toty, Prof K, et les autres : "bon on fait péter notre album, on l'autoproduit, faut qu'on se démerde, on trouve une licence dans un petit label, et on fait notre machin".

     On a tous pété la tirelire, surtout Arlène et Timour, et puis on a autoproduit notre premier album "Etats d'âmes", ce qui nous a pris trois mois à enregistrer, on a mixé, on a invité les gens qu'on voulait inviter, enfin je fais ça succintement, et ça a abouti sur l'album de Kabal.

    Et cette fois on ne voulait pas d'autre manière de tourner qu'avec basse/batterie/guitare/DJ sur scène, on avait vraiment envie de le faire, on a contacté les gens, et on a dit : "soit on tourne comme ça, soit on ne tourne pas".

    Et on a tourné comme ça et ça a tout changé. Ca a tout changé parce que le système deux DJs plus deux choristes plus trois rappeurs qu'on avait sur la tournée Assassin on l'avait exploité pendant longtemps déjà, on avait touché aux limites, on avait été au bout, et on en voulait plus, on était super gourmand : on voulait avoir un vrai bassiste, un guitariste, un vrai batteur, parce que là les énergies elles sont démultipliées, on se renvoie tous des trucs : quand tu regardes ton batteur ça n'a rien à voir avec quand t'écoutes un DAT ; le batteur tu lui fais un clin d'oeil il arrête le shirley, il continue, et ça ça donne vraiment quelque chose en plus, ça apporte plein de choses intéressantes.

    Avec Kabal, vous étiez vraiment différents, vraiment atypiques dans le milieu du rap français. Est-ce que vous avez cotoyé des gens dans ce milieu Hip-Hop ?

    Djamal : Je ne sais pas exactement comment ça fonctionne le hip-hop français, parce que j'ai vraiment pas envie de savoir comment ça fonctionne. Ce que je sais c'est qu'on a eu des rapports avec des gens qu'on cotoie toujours. Namor et son groupe Prodige Namor à Marseille, on a fait un freestyle sur "Le traquenard" en 1996 avec lui : rapports cordiaux, respectueux, stakhanovistes, car c'est un gros bosseur. Evidemment Starflam. Evidemment d'autres groupes qui sont un petit peu moins connus, comme Légitime Défense Crew à Toulouse, ou encore Doudou de Timide et Sans Complexe, qui est vraiment un humain exceptionnel.

    En fin de compte ce qui se passe c'est que si on a un bon rapport humain avec les gens, ça devient envisageable de travailler. Si le rapport humain est super bizarre je ne vois pas pourquoi on se mettrait à travailler ; et c'était ça l'idée dans Kabal, et c'est resté l'idée dans la vie de tous les jours, c'est à dire que si j'ai pas un truc qui se passe avec le voisin avec qui je parle, et bah voilà on va pas bosser ensemble, ça va être la galère. On va pas bosser pour bosser, c'est pas de la musique pour de la musique, il faut que ça représente quelque chose dans l'humain, et ça se retrouve bien-sûr dans les thématiques... enfin ce qu'il y a dans ma vie c'est dans mes textes, et ce qu'il y a dans mes textes c'est dans ma vie, et je fais en sorte que ce soit en adéquation, même s'il y a des choses dont volontairement je ne parle pas dans mes textes parce que ça fait partie d'une vie qu'on appelle privée, et je vois pas l'intérêt. Je trouve aussi idiot de raconter mes exemples très personnels que de dire "yo", "oi !", ou je ne sais pas quoi dans un morceau. C'est aussi banal et aussi stéréotypé.

    Donc oui on était différent. Pour continuer, on a rencontré Asheem dans le r'n'b. En fin de compte tous les gens qu'on a cotoyé on a bossé avec eux, puisque pour nous ça coulait de source. Après si on n'a pas bossé avec d'autres gens c'est parce qu'on ne les a pas vraiment cotoyés. Ekoué on l'a cotoyé souvent, on a bossé un petit peu, mais on n'a pas sorti quoi que ce soit ensemble. Je respecte beaucoup le travail d'Ekoué.

    On apprécie aussi évidemment le collectif La Caution, c'est des gens que je respecte, j'aime beaucoup leur peura, je trouve ça mortel, et c'est vraiment différent du rap français. Mais de mon point de vue j'ai l'impression qu'avec Kabal on a été montrés du doigt comme des rockeurs puisqu'on a mis l'accent sur la guitare tout de suite, et j'ai l'impression que La Caution ont gardé un petit peu plus cette âme hip-hop, que nous on a perdu assez vite. Enfin c'est mon point de vue à moi, je ne sais pas ce que les autres en pensent. J'aime beaucoup La Caution. Nous si on a employé la guitare comme ça c'est parce qu'on faisait du rap qu'on considérait comme "hardcore" par rapport à ce qu'il y avait sur le paysage français, et que pour nous le hardcore sans guitare électrique c'était... bah voilà au bout d'un moment tu peux pas être très très hardcore avec un piano et des violons (sourire).

    On a croisé des groupes comme Lofofora, Watcha, Black Bomb A... Moi les Black Bomb A la première fois que je les ai vus, je les ai vus avec des t-shirts Kabal, j'ai dit "putain mais c'est quoi c'est du délire, faut absolument que j'aille les voir sur scène". Hier on a vu un mec avec un violon (Yann Tiersen, ndlr), demain ça peut être un gars avec un accordéon, j'en ai rien à secouer, si ce qu'il dit est intéressant, s'il aime la Musique avec un grand M, alors y'a moyen de faire quelque chose, de tripper, de faire une expérience ensemble, alchimique, et de voir si la mayonnaise prend, si tout ça c'est que de l'esbrouffe ou si c'est pour de vrai.

    Y'a moyen de faire des trucs super intéressants avec des gens qui sortent de partout. Comme Marc Ducret, qui est un guitariste complètement barré, avec qui on a fait le morceau "L.U.I" sur "Etats d'âmes" ; ce mec là il est complètement taré mais c'était vachement bien de le rencontrer, ce qu'il fait ça n'a rien à voir avec ce qu'on fait, et pourtant... C'est à dire que dans la forme, évidemment non, mais, dans le fond, c'est exactement la même chose, vraiment l'amour de la musique avec un grand M. Et quand t'aimes la musique, t'aimes un guitariste, t'aimes un bassiste, t'écoutes le reggae, t'écoutes la techno, même si c'est pas ta came, si t'en prends pas tous les jours comme un ouf, bah tu peux écouter, trouver ça intéressant. Et c'est pas "oui je respecte le boulot qu'il a fait", c'est "ouais je trouve ça bien, ça me parle". Parfois ça parle à mon corps, d'autres fois ça parle à ma tête... La réaction à la musique c'est assez animal, tu le sens ou tu le sens pas, et après tu commences à y penser.

    Et comment s'est faite la rencontre avec Lofofora : Kabal écoutait Lofo ? Lofo écoutait Kabal ?

    Djamal : Lofofora n'écoutait pas Kabal, parce que je pense qu'on n'avait pas été jusqu'à leur oreilles, par contre Lofofora écoutait Assassin. On a aussi fait un concert en commun pour l'opération "Justice en banlieue" menée par le MIB (Mouvement de l'Immigration et des Banlieues, voir le site, ndlr), c'était à La Cigale. Y'avait Fabe, y'avait Assassin, Kabal, et aussi Lofofora... Lofofora, ils se sont pointés, ils n'ont pas fait de balances, ils ont branché leurs instruments, ils ont fait leur concert ; je suis resté sur le côté, j'étais scotché, j'ai dit "putain mais c'est quoi ce truc de dingues ? c'est une machine de guerre incroyable, ils sont super dangereux !". Et j'ai compris direct ce que disait Reuno, le chanteur de Lofofora.

    Beaucoup plus tard, il s'est avéré que le fait de travailler avec basse/batterie/guitare ou DJ, ça nous a amené à travailler avec des tourneurs qui ne faisaient pas tourner des groupes de rap, mais des groupes de rock, donc on s'est retrouvé avec comme guitariste Pascal, qui était le guitariste du premier album de Lofofora. Et on verra plus tard que In Vivo maintenant c'est Farid, guitariste de Lofofora, qui se retrouve là, donc c'est un peu comme si je recyclais les guitaristes de Lofofora (rires).

    Donc Pascal était avec nous, et ils nous a présenté l'équipe Sriracha (maison de production de Lofofora, voir le site, ndlr), c'est à dire donc Bouba, Bruno qu'on appelle Padre, et enfin Le lighteux qui s'appelle Yoda ; et avec ces trois personnes là il y a eu un feeling, et on s'est dit "pourquoi pas ?". Et eux ils étaient prêts à prendre le risque de la différence, ils disaient que notre rap c'était du rap mutant, du "rap mutant instrumental", voilà ce qu'on était pour eux. C'est drôle parce qu'en abrégé ça fait RMI (rires).

    C'était très bien parce qu'on allait enfin pouvoir toucher autre chose que le public strictement hip-hop, et qu'on allait pouvoir élargir, surtout mélanger les publics. C'est ça qui était intéressant dans Assassin, c'est la même chose dans le public de Cypress Hill, c'est que les gens rock/rap se mélangent, et tu ne sais plus qui fait quoi, qui écoutent quoi, et tout le monde kiffe, et c'est ça qui est intéressant.

    Donc voilà avec Lofofora on s'est retrouvé dans les mêmes locaux de répèt', on se croisait, on se témoignait mutuellement respect, et de fil en aiguille on s'est dit qu'on allait essayer quelque chose. Sur l'impulsion de Lofofora on est partis en Belgique faire deux titres ensemble ; on était censé en faire quatre, on voulait sortir un maxi, mais la maison de disque de Lofofora a dit "au secours pas Kabal et Lofofora, quatre titres c'est un suicide collectif, vous allez vous morfler dans le mur, on n'en vendra jamais", puisqu'effectivement faut qu'ils vendent des skeuds pour pouvoir les fabriquer, c'est normal, ça reste QUE du commerce leur affaire. Et donc c'était pas quatre mais deux titres, on n'avait pas de budget, et comme ils ne voulaient pas le distribuer, on a été obligé de le distribuer nous-mêmes, de les presser nous-mêmes, et encore une fois Sriracha ont pris le risque de presser, de mettre les sous.

    Donc on a fait ce fameux deux titres "Grand et fort / La bête", qui était vraiment une rencontre entre les deux groupes, c'était très très intéressant, surtout les dix - quinze dates qui ont suivi après, où on faisait la première partie de Lofo, et on revenait à la fin du show pour faire les deux morceaux qu'on avait ensemble, et ça c'était une machine à laver que j'oublierai jamais. Dans un concert de rap c'était très très rare qu'on finisse torse nu. Dans les concerts avec Lofofora tu supportes même plus ta peau tellement il fait chaud (rires), t'as envie de te retourner comme une chaussette tellement t'as chaud.

    Donc c'était vachement bien, les gens étaient ouverts, c'était assez festif, ça nous a amené plein de choses. Tout ce que je suis en train de vous raconter jusqu'à maintenant, c'est ça qui est constitutif de la trame... Pour moi In Vivo c'est la suite, tout ce que je dis plus plus plus... égal In Vivo, égal le moment présent.

    C'est ce que j'ai vécu jusqu'à maintenant qui m'a amené à collaborer à In Vivo, et je dis bien collaborer, parce que c'est vraiment le projet solo de Farid de Lofofora. Et Farid, pour son projet solo, il a invité plein de rappeurs, sept, huit, neuf,... Tous les gars de "Perturbations" : Antagony, Otopsia, Kabal, etc, on a fait des freestyles sans fin, des trucs de fous, dingues, et petit à petit on a continué à bosser et il s'est avéré que le feeling entre moi et Farid ça feetait parfaitement. Il a grandi à un kilomètre de chez moi, on avait des affinités... on se connaissaient sans se connaître, c'est comme si on avait passé quinze ans ensemble. Je voyais ce qu'il voulait, je voyais les réactions et tout.

    Et Denis était là aussi, parce que Farid était allé voir Denis, qui joue du sitar, de la guitare acoustique et du oud. Denis, qui est vraiment à mon sens un très grand joueur d'instruments à cordes, et qui nous apporte beaucoup dans la thématique de la musique indienne dans In Vivo.

    Est-ce que Densio (Denis) faisait partie d'un groupe avant In Vivo ?

    Djamal : Densio aime bien dire qu'il fait partie du groupe des invisibles ; dans le peura ça existe un peu moins des espèces de mercenaires qui jouent avec 6 groupes en même temps, qui sont capables d'aller jammer dans un bar, sortir du bar aller dans un autre et jammer avec des gars etc... Denis il faisait partie de ces gens là : il a joué de la musique camerounaise, du zouk, il connaît tous ces classiques de death metal, de rock, de Led Zepellin, les Clash et tout ça ; enfin il a vraiment une culture musicale super super impressionante, et en plus de ça la musique indienne et l'electro-indy et tout ce genre de trucs là.

    Le second aspect de Denis, mis à part son côté jam et mercenaire de la musique, c'est qu'il travaillait dans le quartier de Pigale à Paris qui est le quartier des musiciens, disons qu'il y a beaucoup beaucoup de magasins de musique, autant pour l'électronique, et surtout pour les guitares ; donc lui travaillait dans un magasin de guitare, son boulot c'était de faire de l'export de guitare, de vendre les guitares, de régler le son des guitaristes, de leurs amplis, de régler leurs guitares, et du coup il a brassé tous les guitaristes de Paname, de No One Is Innocent jusqu'au bassiste de Lofo, Farid, Pascal l'ancien guitariste de Lofo qui est passé dans Kabal etc etc...

    Donc il connaissait tous ces gens là et il a fait plein plein d'apparitions, et il réglait le son des gens sur scène, même en concert parfois quand des Américains se pointaient il aidait à régler le son par rapport à la salle, enfin des conneries comme ça. C'est vraiment le petit laborantin du son qui est capable de te dire de quelle année est l'ampli, que ça c'est pas un truc d'origine dans la guitare, qu'il y en a eu 120 faites en 1961, que c'est une réplique qui a été refaite en 1968 etc... enfin c'est un truc de fou quoi. Il connaît ça vraiment sur le bout des doigts, c'est son truc.

    Il connaît les guitares sur le bout des doigts, plus tard ça a été le sitar, un autre instrument qui s'appelle le Sarangui où tu frottes sur une corde avec un archer, et les vibrations de la corde ça fait un peu comme le sitar. Le sitar c'est en fait une dizaine de cordes sur le dessus que tu peux toutes gratter, et en dessous un espèce de tapis de cordes qu'on dit "sympathiques" qui résonnent aux vibrations des premières que tu grattes. Et en fait c'est ça qui donne l'espèce de bourdon continu du sitar, c'est les harmoniques qui résonnent entre elles dans l'instrument, c'est complètement dingue d'avoir autant de cordes sur un truc, mais ça fait tout résonner ; donc ça ça fait aussi partie de ses connaissances.

    Et c'est aussi avec Denis, et bien moins avec Farid (sourire), que j'ai travaillé mes premières gammes, mes do-ré-mi-fa-sol-la-si-do, parce que moi j'étais complètement à la masse ; pour moi le rap c'est du rap, à l'époque j'écrivais un texte, tu me mettais trois instrus les unes à la suite des autres et j'essayais mon texte sur les trois instrus, j'essayais de savoir où est ce que ça collait. Maintenant je ne fonctionne plus du tout comme ça : j'écris le texte par rapport aux notes qu'il y a dedans, comment je peux jongler avec les instruments, avec Denis c'est ce travail qu'on fait vraiment dans In Vivo, je l'avais pas fait jusqu'alors, c'est vraiment un travail de musicien dans le vrai truc : faut que j'aille prendre des cours de chant, que je fasse attention quand je lève et que je baisse la tête, y'a plein de trucs, parce que cette fois-ci si tu fais une fausse note bah t'as deux guitaristes qui font la grimace, et toi tu fais "ah bon d'accord si tu fais la grimace c'est que..." (rires), on le refait, on le retravaille; t'écoutes et puis tu te cales, et ça devient intéressant.

    Pas dans tous les morceaux : dans le morceau "Tribus" d'In Vivo je peux pas dire que je chante, par contre on peut dire que dans le morceau "Deux" ça s'en rapproche plus, la version live de "Deux" on l'a pas faite hier mais elle existe aussi, dans "Khol" ça se rapproche plus du chant aussi ; autant je me sens super à l'aise dans un "Tribus", autant je fais super gaffe aux notes que j'emploie dans les morceaux chantés, puisque j'suis vraiment disons une baltringue du chant et faut que je fasse très très gaffe parce que y'a des gens qui rigolent pas à côté de ça. Mais bon c'est pas mon créneau, mais d'un autre côté ça apporte tellement de choses et tellement d'harmoniques, de mélodies qui peuvent sortir, que j'ai vraiment envie d'aller beaucoup plus loin et de tripper. Je fais pas de parallèle vraiment avec Everlast qui est parti faire son truc à la guitare-pop, qui s'est mis à mettre des bottines et tout ça, mais pourquoi pas ?

    Parce que la démarche est vachement intéressante, maintenant je ne suis pas là pour suivre ces machins, j'essaie de débrousailler mon chemin, mais je trouve ça intéressant de pouvoir continuer, d'apprendre à chanter, en plus d'avoir le background du rap et du moyen d'expression qu'est le rap, du témoignage que c'est, des flows rapides/lents machin, d'avoir en plus la corde des notes à son arc c'est vachement intéressant, comme certains groupes, Bones Thugs and Harmony, ils viennent de Los Angeles, espèce de gansta rap, le nom de leur groupe c'est "des os, des saloperies, et l'harmonie", et en fait c'est des anciens chanteurs de gospel qui rappent deux fois plus vite que la moyenne des rappeurs, qui sont au moins aussi rapides sinon plus rapides que Busta Rhymes, et qui en plus de ça chantent à te jeter par terre. Je vous invite à l'écouter, parce que techniquement ça va loin, et moi Bones depuis très longtemps ça a été un des groupes que j'écoute beaucoup, parce que bien que ce qu'ils disent ça ressemble à rien, ça m'a empêché d'écouter NWA, Ice Cube, ou Dr Dre qui raconte n'importe quoi aussi, mais je trouve ça intéressant artistiquement, y'a des choses à prendre ; je reproche pas aux Beatles d'avoir chanté "Yellow submarine", ils font ce qu'ils veulent, maintenant s'ils le font bien c'est intéressant puisque y'a des idées, et puis la musique ça reste de la musique, après chacun fait son choix.

    Et puis par rapport à la thématique chacun fait son choix... surtout je pense que c'est nécessaire pour donner une raison d'être à ce que tu fais, dans la musique. Il faut que les autres fassent autre chose, donc forcément il faut que tu fasses autre chose. Sans les autres t'arrives pas à être différent, donc forcément t'as besoin de bon et de pas bon. C'est la fameux truc de "Tribus", de Arnold et Willy : "faut de tout pour faire un monde". C'est vrai, d'accord... Bon j'suis pas à donf dans tout ce qu'il faut pour faire le monde, mais c'est vrai que d'un autre côté, par définition, si on peut pas dire "ça c'est moins bien que ça ou mieux que ça"... il faut des points de comparaison pour pouvoir raisonner, ça me paraît logique.

    On a l'impression que Densio entretient une relation particulière avec ses instruments.

    Djamal : Alors y'a plusieurs choses : oui il a un rapport physique avec ses instruments. Déjà le sitar, si tu le laisses un quart d'heure dans une pièce où il fait pas la même température que dans la pièce d'avant il se désaccorde, t'en as pour un quart d'heure à tout réaccorder parce qu'évidemment, c'est pas 6 cordes de guitares, y'a plus de 20 cordes à accorder, et puis si elles sont pas bien réglées elles ne résonnent plus correctement selon le principe des cordes sympathiques dont j'ai parlé tout à l'heure.

    Et il y a aussi un autre aspect, c'est qu'on a une espèce de galette sur scène, un espèce de pad. Je dirai pas la marque, je dirai juste le prénom du gars il s'appelle Roland (rires). C'est un pad qui simule des sons de tabla, de machins, tout ce que tu veux, guitare électrique, enfin c'est une espèce de banque de son quoi ; y'a aussi un capteur sur le pad, donc tu peux taper sur le truc en temps réél, et il te renvoie l'impulsion que tu mets dedans ; et il a aussi un espèce de capteur invisible sur le truc, infrarouge, et lorsque ta main est au-dessus du capteur à une certaine hauteur, tu déclenches une note, et lorsque tu varies la hauteur de ta main par rapport au capteur tu changes la note.

    C'est pour ça que parfois il a une espèce de geste bizarre au-dessus de sa galette de chez Roland, parce qu'il joue avec le capteur ; c'est aussi ça qui déclence l'orage dans "Les singes", quand on est sur scène, y'a un orage qui pète au début, il sort de nulle part, c'est Denis qui a sa main au-dessus du truc et c'est l'orage qui sort. C'est super pratique : il n'a pas besoin de lâcher son truc, il peut délirer comme ça, faire un machin à la guitare, délirer avec le petit capteur et reprendre sa guitare, et on a trouvé ça super pratique. Et puis visuellement ça le fait. Y'a d'autres engins, dans la techno ils ont pas mal ça les DJs, des espèces d'antennes, lorsque t'approches ta main de l'antenne tu fais varier la fréquence, tu peux vraiment délirer avec ça. Mais effectivement il a un rapport super physique avec les instruments, il pionce avec son sitar, se lève avec son sitar, il est à donf.

    Au départ, Farid a donc invité tous ces rappeurs... mais comment vous en êtes venus à In Vivo ?

    Djamal : Farid avait pas du tout l'idée d'In Vivo quand il a invité les rappeurs ; y'avait pas de nom. On faisait des morceaux pour faire des morceaux. Au début, lorsqu'on était plusieurs, un bon paquet de rappeurs, on s'était dit avec Farid qu'on pouvait appeler ça "huis-clos" ; mais en fin de compte "huis-clos" c'est juste l'inverse d'"in vivo" dans la symbolique (sourire).

    Mais c'est sûr que les premiers morceaux qu'on a fait ne reflétaient pas l'état d'esprit d'In Vivo, on n'avait pas encore compris ce qu'on était en train de faire. On ne sentait pas ce qu'il fallait tirer comme choses. Et puis lorsqu'avec Denis on a commencé à parler et à faire plus de morceaux, on s'est dit ça y est on a notre sauce, on voit ce que c'est, In Vivo c'est positif, c'est pas positiviste, c'est pas genre "tout est super", c'est "y'a du super aussi".

    Et c'est ça pour moi le grand changement dans les paroles par rapport à Kabal et à mon passé, c'est que maintenant faut mettre un coup de stabylo sur le positif et sur le beau parce qu'on est en train de tout rater, et ressasser du noir dans sa bouilloire et dire "ouais tout est noir, c'est chiant, y'a de la merde, ils nous prennent pour de la merde etc etc...", c'est con parce que ça peut te faire vivre malheureux alors qu'il faut vraiment pas rater la fleur qui éclot, le soleil qui se lève, et machin ; ça paraît super niaiseux ce que je dis, mais c'est vrai.

    C'est un peu la transition qu'on ressent entre Kabal et In Vivo... Dans "Le dormeur du val" sur l'album de Kabal, tu avais cette phrase marquante : "Je ne vis plus". Et aujourd'hui tu es "in vivo"...

    Djamal : "Le dormeur du val", ça représentait vraiment ce qui se passait ; et aujourd'hui, y'a plusieurs aspects, mais en général, dans In Vivo, j'ai vraiment envie qu'on soit considérés, en tout cas en ce qui concerne le militantisme et l'implication des textes, considérés comme des relais, et pas comme des détenteurs d'informations, ça me paraît fondamental dans mon placement.

    Souvent, on vient me dire : "Ouais, comment vous faîtes pour faire ça ?, qui c'est qu'on doit contacter pour ?, etc etc..." : je trouve ça super intéressant, mais j'ai pas envie de tirer les trucs à moi. En vérité sur ce truc là j'suis transparent ; si tu me parles de la double-peine qu'est-ce que je vais te répéter ? Ce que le MIB m'a dit. Rien d'autre. Moi j'indique : va là, va là-bas, va là-bas. Et je trouve ça plus intéressant que de dire "moi j'ai été à telle manif, moi...", je ne veux rien entendre. Fabe, je le trouve très intelligent dans ses lyrics parce que, justement, il dit rien de ce qu'il fait vraiment, de son implication dans les tierquars, dans les manifs, par rapport au MIB etc, il en parle très peu, et pourtant il est vraiment actif. Donc voilà, c'est ceux qui en parlent le moins qui en mangent le plus...

    On en parle un petit peu moins, on en fait plus, et pour continuer à développer un petit peu l'esprit d'In Vivo et comment on voit la chose, on avait beaucoup envie de se coller avec une association caritative, quelle qu'elle soit, avec un bon fonctionnement, une bonne cause. Evidemment en tête de liste on avait le MIB, parce que pour nous c'est vraiment le genre de gars qui vont à Marseille sortir les gars du bateau et les remettre sur le quai pour pas qu'ils repartent, donc c'est vraiment quelque chose de bien. On avait envie de, j'sais pas... de leur filer un pourcentage, enfin y'a 10 000 arrangements possibles sur les ventes de disque... et en fin de compte on s'est dit non, on va rien faire du tout. On va vendre notre disque, et si jamais on a des sous, on va fermer notre gueule et puis aller au MIB. Pour schématiser, on trouve ça plus intéressant de leur offrir un ordinateur ou de leur payer un mois de téléphone plutôt que de dire "ouais soutenez le MIB, achetez l'album, ils touchent 1%", ça c'est pitoyable, juste pitoyable.

    Je pense que l'implication est au niveau personnel ; y'a un truc qui regarde la musique, c'est le rêve et c'est ton implication en tant qu'artiste, auteur dans la musique et ce que tu veux en faire passer, donc positionnement en tant que relais. Je trouve ça intéressant, c'est bien. Et puis j'ai pas envie d'être que là-dedans. J'aime beaucoup les enfants, j'aime l'amour, j'aime aimer, j'aime qu'on m'aime, j'suis triste quand on m'aime pas, je reste qu'un bonhomme, et puis voilà, il faut parler de tout.

    Dans Kabal, on parlait de "Masquarade", d'"Hostile", d'"Apache" etc, des morceaux comme ça qui tapaient dans tous les sens. In Vivo c'est pas Kabal, c'est une partie de Kabal, c'est moi qui ne suis plus dans ce contexte-là. D' il est dans son contexte maintenant aussi. Donc maintenant je pense que ça va être assez facile de pouvoir décomposer l'addition Kabal, de dire : bon voilà, y'a Toty qui fait son label, j'écoute ce que fait Toty tout seul, j'écoute ce que fait D' tout seul, j'écoute ce que fait Djamal, et je comprends pourquoi Kabal c'était cette addition de trucs-là. On va piger bientôt.

    Dans In Vivo j'ai vraiment vraiment envie de me dire que, oui parfois c'est triste, souvent t'en chies, mais j'ai vraiment pas envie que dans ma musique, ou dans la musique que j'écoute moi en tant qu'auditeur, il n'y ait que de la merde, que du noir, que du pessimiste. Ca correspond à une partie de ma vie, et je ne la renie pas : au contraire, je l'aime beaucoup, j'ai appris beaucoup et je suis très content d'avoir vécu ce que j'ai vécu ; mais aujourd'hui j'aspire à autre chose, et c'est pas pour ça que mes convictions changent : c'est pas parce que t'es bien au soleil que tu penses plus que les sans-papiers n'ont pas de papiers ou qu'ils se font taper dessus par les CRS à Saint-Bernard. Ca existe toujours, mais faut pas occulter le bon, et je pense que dans In Vivo c'est très important, on essaie de mettre en avant un bol d'air. Les gars, faîtes-vous plaisir un petit peu, on a vraiment envie de ça. Et d'un autre côté maintenant quand le contexte s'y prêtera, on fera des trucs qui seront complètement noirs avec des capuches et 20 mecs qui gueulent dans une cave : ça ouais, bien-sûr... mais c'est contextuel.

    Et puis dans Kabal on avait une démarche qui était très indépendante, mais cette fois dans In Vivo pour moi le contexte est complètement différent, j'ai signé avec une maison de disques. C'est complètement différent : avec Kabal on autoproduisait et on signait une licence ; quand tu signes une licence ça veut dire que la maison de disques s'occupe de distribuer ton disque et de le fabriquer ; lorsque tu signes un contrat comme j'ai signé avec Sony, c'est un contrat d'artiste, qui dit que la maison de disques te donne de la promo, te donne des sous pour la production du truc, le fabrique, et le distribue. Alors que quand t'es tout seul en licence il faut que tu le produises tout seul etc... Avec Farid et Denis, on s'est retrouvé à faire In Vivo, on avait juste un huit-pistes, on pouvait rien faire. On ne pouvait vraiment aboutir à rien du tout, donc on était à poil, on recommençait à zéro : on fait nos maquettes sur huit-pistes, on négocie un budget, on fait des meilleures maquettes, etc. Tout ça pour dire que par rapport à la politique de Kabal et celle de In Vivo, j'suis pas fou. Je sais que le fait de mettre en avant les bonnes choses, et de ne pas faire des morceaux complètement fermés avec des oeillères et être complètement head-banging et super méchant, c'est ce qui a permis qu'In Vivo se fasse signer dans une maison de disques. Et moi je savais pertinemment en écrivant les morceaux que j'étais pas en train de faire des morceaux... c'était pas des "Apache" ou des machins comme ça que j'allais mettre dans In Vivo... non, je voulais vraiment être plus subtil que ça, aller plus loin.

    Je sais que c'est une maison de disques, j'en ai très conscience et je sais aussi que In Vivo c'est un produit, et je sais aussi qu'ils en parlent comme d'un produit, comme d'un steak haché, c'est de la musique mais je sais qu'on l'a fait comme ça, dans ce contexte là. Je pense qu'il faut jouer le jeu pour de vrai : Sony Music c'est Sony Music, c'est la World Company, c'est des associations avec des fabriquants d'armes. C'est bon, je suis au top sur l'affaire. Mais bon, j'ai bien remarqué que même dans Kabal on était dans un paradoxe : le paradoxe de dire qu'on était anti-capitaliste, qu'on voulait l'amour entre les gens, anti-préjugés machin nanana, qu'on voulait pas saigner les gens pour leur prendre leur argent, et qu'on faisait de la musique pour la musique etc etc. Mais que tu sois en licence chez Media 7 ou en artiste chez Sony, de toute façon ton disque il est vendu, de toute façon tu te vends en concert, t'es quand même dans un système pognon ; quoi qu'il arrive t'es en train de parler d'un produit à un moment, à moins que tu fasses ton artiste dans ta tour de Babel, "j'entends rien, je vois rien, j'écris des textes mais je les jette par la fenêtre, et vous, gens du peuple, vous faîtes des commerces avec".

    Je pense qu'il y a vraiment beaucoup de choses qui se passent correctement pour ça, évidemment le site internet, le réseau internet, votre site, et puis d'autres sites... Y'a aussi des communautés, très peu, 4 ou 5 en Europe, qui sont là depuis mai 68. Elles ont perduré et elles vivent en autarcie vraiment, c'est-à-dire qu'elle sont dans des régions désertifiées comme l'Auvergne ; mais c'est pas des trucs qui sont pas cultivables, c'est pas la Somalie, c'est juste qu'il n'y a pas d'habitants ; ils sont là, ils ont construit des bâtiments pour les adultes, pour les adolescents, pour les enfants, une ferme, des champs, de quoi faire à bouffer, etc : ils vivent en autarcie. Ces gens-là ils demandent rien à personne, ils ont leur radio, un petit groupe de pensée, des philosophes, des gens qui leur rendent visite etc, ça oui, vraiment, c'est pas une situation paradoxale ; ça c'est un truc que tu vis entièrement, t'es pas dans le capitalisme, t'es en dehors pour de vrai.

    Si je me mets à faire un freestyle, je vais pas te le facturer en sortant, c'est sûr... mais ça c'est parce que c'est entre nous. Maintenant, si demain je fais un freestyle et que t'es pas acontresens.com mais que t'es NRV ou Skyzobe, bah je préfererai te le facturer parce que tu vas faire du pognon avec ; si moi je représente de l'audimat pour ta radio, si je suis un espèce d'Akhenaton ou quelqu'un qui représente vraiment beaucoup d'auditeurs, il est possible que je le fasse pas pour rien ton affaire ; Skyrock, pourquoi je serai gentil avec toi ? Pourquoi ? Y'a pas être à être gentil, c'est du business !

    J'me rends bien compte, le business de teushi, c'est le business de teushi, et donner un joint à quelqu'un c'est donner un joint à quelqu'un, et c'est pas pareil, c'est vraiment différent. Et c'est pareil pour la zik-mu, c'est super bizarre comme parallèle, mais c'est pareil : t'as beau être militant anti-capitaliste... Noir Désir c'est un bel exemple de paradoxe : ils font tout ce qu'ils peuvent, ils se débattent... ils en sont à faire des lettres à Jean-Marie Messier aux Victoires de la musique, et ça résulte de leur propre position paradoxale... mais c'est pas de leur faute parce que, allez employons un gros mot : le "système", il récupère tout le monde. "T'es un rebelle, bravo ! Viens, viens ! Viens t'es un rebelle ? Alors vas-y viens ! Tu dis "capitalisme nananana et tout ça" alors viens, ça fait vendre des disques alors viens ! Viens, dis à tout le monde que tu veux pas en vendre, ça les fait vendre, et toi tu les vends quand même, artiste que tu es, t'es obligé pour survivre !"

    Donc moi je pense qu'il faut vraiment jouer le jeu à fond, pour de vrai. Noir Désir ils le jouent vraiment, même si ils ont vraiment mis des grosses barrières avec les médias et tout ça... Et dans In Vivo je compte jouer le jeu à fond, faire le truc, et s'il faut demain que j'aille sur Skyrock pour aller défendre mon steak, j'irai défendre mon steak sur Skyrock parce que franchement j'ai pas peur d'eux, de ce qui se passe là-bas, j'ai pas peur de ce qui se dit ; au contraire, ce serait plutôt du genre à me filer la gerbe plutôt que de me faire peur.

    Je trouverai ça super intéressant, ça l'a toujours été, d'aller discuter, de rencontrer des gens ou de faire des trucs, et j'ai vraiment envie que ça continue ; et dans In Vivo c'est vraiment un beau contexte pour rencontrer des gens. C'est-à-dire que si t'es un petit peu qué-blo sur ce que t'écoutes, si t'as des critères ou des stéréotypes dans ta tronche, tu vas pas arriver à discuter avec In Vivo, ça va pas être possible.

    Le mélange, la tambouille qu'on fait, tout le monde ne peut pas la digérer... mais tu rencontres des gens qui sont ouverts : Théo Hakola qui se pointe hier et qui nous dit "putain le sitar c'est incroyable, les textes et machin et tout". Pourtant on n'a pas grand chose à voir, lui il fait piano-voix en anglais et en français, nous on est en train de crier comme des sauvages et de mettre des coups de guitares et des coups de sitar, mais y'a quelque chose qui se passe quand même, y'a un truc ; hier soir c'était une soirée thématique super intéressante (soirée "Liberté de Circulation" à Rennes, voir le compte-rendu, ndlr), malgré une programmation éclectique, tout le monde a trouvé son compte. Ca, ça vaut le coût !

    Propos recueillis par JB, PJ et Adis à Rennes le 27.03.2002

    Interview complète sur http://www.acontresens.com/musique/interviews/5.html


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